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Le père Taille avait trois filles. Anna, l'aînée, dont on ne parlait guère dans la famille, Rose, la cadette, âgée maintenant de dix-huit ans, et Claire, la dernière, encore gosse, qui venait de prendre son quinzième printemps.
Le père Taille, veuf aujourd'hui, était maître mécanicien dans la fabrique de boutons de M. Lebrument. C'était un brave homme, très considéré, très droit, très sobre, une sorte d'ouvrier modèle. Il habitait rue d'Angoulême, au Havre.
Quand Anna avait pris la clef des champs, comme on dit, le vieux était entré dans une colère épouvantable; il avait menacé de tuer le séducteur, un blanc-bec, un chef de rayon d'un grand magasin de nouveautés de la ville. Puis, on lui avait dit de divers côtés que la petite se rangeait, qu'elle mettait de l'argent sur l'État, qu'elle ne courait pas, liée maintenant avec un homme d'âge, un juge au tribunal de commerce, M. Dubois; et le père s'était calmé.
Il s'inquiétait même de ce qu'elle faisait; demandait des renseignements sur sa maison à ses anciennes camarades qui avaient été la revoir; et quand on lui affirmait qu'elle était dans ses meubles et qu'elle avait un tas de vases de couleur sur ses cheminées, des tableaux peints sur les murs, des pendules dorées et des tapis partout, un petit sourire content lui glissait sur les lèvres. Depuis trente ans il travaillait, lui, pour amasser cinq ou six pauvres mille francs! La fillette n'était pas bête, après tout!
Or, voilà qu'un matin, le fils Touchard, dont le père était tonnelier au bout de la rue, vint lui demander la main de Rose, la seconde. Le coeur du vieux se mit à battre. Les Touchard étaient riches et bien posés; il avait décidément de la chance dans ses filles.
La noce fut décidée; et on résolut qu'on la ferait d'importance. Elle aurait lieu à Sainte-Adresse, au restaurant de la mère Jusa. Cela coûterait bon, par exemple, ma foi tant pis, une fois n'était pas coutume.
Mais un matin, comme le vieux était rentré au logis
pour déjeuner, au
moment où il se mettait à table avec ses deux filles, la
porte s'ouvrit
brusquement et Anna parut. Elle avait une toilette brillante, et des
bagues, et un chapeau à plume. Elle était gentille comme
un coeur avec
tout ça. Elle sauta au cou du père, qui n'eut pas le
temps de dire «ouf», puis elle tomba en pleurant dans les
bras de ses deux soeurs,
puis elle s'assit en s'essuyant les yeux et demanda une assiette pour
manger la soupe avec la famille. Cette fois, le père Taille fut
attendri jusqu'aux larmes à son tour, et il répéta
à plusieurs reprises: «C'est bien, ça, petite,
c'est bien, c'est bien.» Alors, elle
dit tout
de suite son affaire.—Elle ne voulait pas qu'on fît la noce de
Rose à
Sainte-Adresse, elle ne voulait pas, ah! mais non. On la ferait chez
elle, donc, cette noce, et ça ne coûterait rien au
père. Ses
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